Dans l’univers Marvel-Netflix il y a les superhéros, les vilains, les acolytes et Stephanie Maslansky. La chef costumière New Yorkaise est responsable de la retranscription fidèle des univers superhéroïques de Marvel sur petit écran. Une tâche ardue rendue possible par une longue expérience dans le métier, mais aussi une passion et une recherche d’authenticité inébranlable pour ces personnages déjà entrés dans les coeurs de millions de téléspectateurs. Rencontre avec la costumière qui forge l’identité visuelle de Marvel sur Netflix.
Pouvez-vous nous parler de vous, de votre carrière, comment êtes vous devenue costumière ?
Stephanie Maslansky : Je suis costumière depuis de très nombreuses années. J’ai commencé il y a 35 ans tout en bas de l’échelle en tant que stagiaire au Guthrie Theatre de Minneapolis, un théâtre très connu de la région. J’ai eu beaucoup de chance d’y obtenir une place et d’apprendre auprès d’Annette Garceau, une extraordinaire designer et créatrice de costumes. Après le Guthrie j’ai déménagé à New York pour obtenir un Master en Création de Costumes à NYU (New York University), mais au dernier moment je me suis rendue compte que je préférais travailler. J’ai donc enchaîné les petits boulots, j’ai été assistante costumière, finisseuse, shopper, j’ai aussi fait des comédies musicales à petit budget et des productions très off-Broadway pour des écoles ou des universités.
Stephanie Maslansky, photographiée à l’édition 2017 du New York Women in Film and Television Awards
Pour me faire un peu d’argent j’ai fini par devenir styliste pour des réalisateurs de publicités, et ce pendant plusieurs années. De là, je suis passée au cinéma en tant que styliste ou costumière. Puis, j’ai eu un coup de chance et je me suis retrouvée à travailler sur un pilote télé pour un scénariste, qui m’a par la suite demandé de rejoindre l’équipe de la troisième saison d’une série de HBO appelée Oz. C’était ma première grosse opportunité pour pénétrer dans le monde de la télévision. Et de là je suis restée à la télé, j’ai fait plusieurs années sur une série appelée New York 911 (Third Watch), j’ai travaillé sur une série nommée New York Section Criminelle (Criminal Intent), et j’ai réalisé les costumes de FBI : Duo Très Spécial (White Collar).
Finalement en 2014, j’ai eu l’opportunité de passer un entretien pour Daredevil. Comme pour chaque entretien, j’ai préparé une présentation, ils ont aimé mon travail et m’ont embauché.
Lorsque vous avez passé votre entretien pour Daredevil, saviez-vous déjà que vous alliez travailler sur les autres séries Marvel de Netflix ?
Je savais qu’ils allaient développer d’autres séries basées à New York et je voulais y participer. Mais une fois que j’ai bouclé le tournage de Daredevil et qu’ils s’apprêtaient à lancer la production de Jessica Jones, j’ai du passer un entretien pour la série. Et il s’est produit la même chose pour Luke Cage et Iron Fist. A chaque fois j’ai du passer un entretien durant lequel je proposais des idées. Je ne me suis pas occupée de la saison 2 de Daredevil car à l’époque je travaillais sur Jessica Jones. Pour The Defenders, ils m’ont demandé de choisir entre cette série et The Punisher, et comme j’avais travaillé sur les 4 personnages de Defenders auparavant, j’ai choisi d’aller au bout de ma démarche The Defenders.
Avant de travailler sur les séries Marvel, lisiez-vous des comics, étiez-vous familière de l’univers Marvel ?
C’est une excellente question (rires)! En réalité je n’ai jamais vraiment lu de comics durant ma jeunesse ou même à l’âge adulte. Je sais que c’est le cas de beaucoup de gens, mais les comics ne stimulaient pas vraiment mon imagination. Bien sur ça a beaucoup changé depuis que je travaille pour les séries Marvel. Et j’ai du très rapidement me familiariser avec Daredevil et les personnages qui peuplent toutes ces séries Netflix. J’ai l’impression que ces personnages sont authentiques et réalistes, ils sont complexes avec de multiples strates et ne sont pas toujours sympathiques. L’une de mes missions est d’humaniser ces personnages lorsqu’ils ne sont pas très agréables.
Jusqu’à quel point respectez-vous le matériel d’origine?
Je pense que la raison principale pour laquelle je fais ce travail, ce sont les fans. La base de fans de Marvel est une base de fans gigantesque. Il y a tant de gens qui sont investis dans ces histoires depuis tant d’années, il est donc important que les fans soient satisfaits du résultat, tout en conservant un élément de surprise. J’étudie donc toujours les illustrations des comics et j’essaie de voir comment les retranscrire dans l’ère moderne actuelle (2016 – 2017).
Par exemple, j’ai regardé les illustrations de Daredevil des années 60 et j’ai beaucoup aimé la silhouette étriquée de Matt Murdock avec sa cravate fine. J’ai donc repris ce look et je l’ai traduit avec des vêtements actuels. On a donc conservé une silhouette très fine, une cravate fine… Et je voulais vraiment que les gens regardent les illustrations puis regardent le look de Matt Murdock dans la saison 1 de Daredevil et se disent « ah ha, c’est lui ». Depuis, j’ai reçu beaucoup de retours de la part des fans et ils étaient plutôt positifs.
Premiers concepts de Stephanie Maslansky pour le look de Matt Murdock
En parallèle j’ai aussi réfléchi à la manière dont un non-voyant s’habillerait. Et je me suis dit qu’il utiliserait peut-être une palette minimale qui lui permettrait de coordonner ses vêtements peu importe ses choix. Sa palette s’est donc composée de bleu marine, de blanc, de gris, de noir et d’une pointe de rouge qui est la couleur de Daredevil. En dehors de ça tous ses vêtements, chemises comme costumes présentent beaucoup de textures pour qu’il puisse sentir ce qu’il porte. Ainsi peu importe ce qu’il choisit, il sait qu’il sera présentable en tant qu’avocat. Et j’appelle cela son uniforme. Une notion héritée des comics où les looks et les silhouettes des personnages ne varient que très peu, à la manière d’un uniforme.
Quelles difficultés techniques rencontrez-vous ?
Ces séries sont des séries de superhéros, il y a donc beaucoup de combats et de cascades, donc il nous faut réfléchir à des moyens de gérer ces cascades avec les vêtements. Et la majorité du temps, les gens se battent en costume. On doit trouver de petites astuces pour assurer les cascades. On coud donc des petites pièces en stretch au niveau de l’entrejambe ou sous les bras, à tous les endroits où on a besoin d’élasticité. Les cascadeurs ont à leur disposition de nombreux exemplaires des mêmes tenues une ou deux tailles au-dessus des leurs pour avoir de l’espace pour se mouvoir et se battre.
Vous devez garder à l’esprit que chaque fois que l’on achète ou que l’on crée une pièce pour un personnage, il faut qu’on sache si ce personnage va se battre avec. Il est donc nécessaire de lire les scripts le plus à l’avance possible pour que l’on sache de combien de temps de on dispose pour ajuster les vêtements, s’ils vont participer à un combat et si plusieurs versions seront nécessaires. Ce sont les aspects pratiques de mon travail.
Comment vous décidez-vous entre l’achat un vêtement et la création complète d’une pièce ?
En tant que costumière, j’aime concevoir des vêtements à partir de rien, et nous essayons autant que possible de créer des pièces pour ces personnages. Dans The Defenders par exemple, nous avons conçu tous les costumes de Matt Murdock ainsi que celui de Danny Rand.
J’aime discuter de ces personnages, obtenir des informations sur eux et imaginer la manière dont ils s’habilleraient. Par exemple, l’une des premières choses que j’ai apprises à propos de Madame Gao est le fait qu’elle soit âgée de plus de 1000 ans. Je me suis donc raccrochée à l’histoire et me suis demandée où elle aurait pu se trouver dans le passé. Et il m’est venu à l’esprit qu’elle aurait pu se battre aux côtés des soldats de l’armée de terre cuite découverte à Xi’an dans la province du Shaanxi en Chine. Ayant eu l’opportunité de voyager en Chine et de voir ces statues, j’ai eu l’idée de m’inspirer de la forme de leurs vêtements pour créer la silhouette de Madame Gao, quelque chose de très étroit au sommet et très évasé à la base. C’est en quelque sorte son uniforme.
Lorsqu’Iron Fist a du répondre au défi de La Main et affronter La Promise des Neufs Araignées (Bride of Nine Spiders) ainsi que Scythe et les jumeaux (des personnages tous issus des comics), les cadres de Marvel m’ont demandé de leur proposer des concepts et des idées. J’ai donc imaginé un look un peu gothique pour La Promise et ce look de motard badass pour Scythe. Pour les jumeaux russes, je voulais qu’ils aient l’air de s’être battus en Tchétchénie et tout autour de l’ex-URSS. Ils avaient donc des éléments de costumes militaires.
Si nous prenons l’exemple du bomber de Colleen Wing, où vous procurez-vous une telle pièce ?
Pour Colleen, sa veste aurait pu provenir de n’importe quel magasin ou vendeur. Mais je voulais quelque chose d’authentique, quelque chose qu’elle n’irait pas acheter à H&M, quelque chose qui aurait appartenu à ses grand-parents. Pour trouver cette pièce authentique, nous avons testé de nombreuses vestes vintage, puis nous avons trouvé la perle rare, mais elle était endommagée. Nous l’avons donc restauré et elle est fantastique, elle est réversible et j’aime beaucoup sa couleur qui est aussi celle de La Main. Ce bomber est donc malheureusement introuvable !
Dans The Defenders, quelle orientation souhaitiez-vous donner au personnage d’Alexandra ?
Pour Alexandra j’ai travaillé en étroite collaboration avec Sigourney Weaver. Son personnage a eu une très longue vie, elle vient d’une autre ère, nous l’avons imaginée comme un personnage issu d’une poterie grecque ou d’un mythe turque. Nous ne nous sommes donc pas nécessairement concentrées sur son âge, mais plutôt sur la signification que ses vêtements apportaient au personnage. La lumière est sur le point de s’éteindre pour elle, nous avons donc utilisé beaucoup de blancs pour symboliser cette lumière. Vous constaterez que nous avons choisi le manteau Sportsmax qu’elle porte au début de la série pour sa forme de tunnel. Il représente la lumière au bout du tunnel, la fin qui approche pour elle.
A mesure que la série avance, elle transite vers une palette plus neutre avec des couleurs plus naturelles et plus metalliques qui rappellent une armure. Sa robe Dries Van Noten lors de la scène du comité de direction évoque d’ailleurs une cotte de maille.
Nous avons aussi remarqué son sublime sac en python, pourriez-vous nous en dire plus sur cette pièce ?
Oh mon Dieu ! Je suis si heureuse que vous me parliez de cette pièce. C’est un sac confectionné par une designer New Yorkaise nommée Paige Gamble. Elle fait ces magnifiques sacs à main, ils sont très chers, et je ne peux pas me les offrir, mais Alexandra le peut. Et nous avons pu intégrer ce sac au show.
Avez-vous délibérément sélectionné la marque Uniqlo pour les sweats d’Iron Fist, vu qu’elle mélange un univers urbain, streetwear et un univers asiatique de par ses origines japonaises ?
Je n’ai jamais pensé à ça. Non, nous avons choisi Uniqlo pour sa structure, son aspect technique, high tech. Et d’un point de vue technique, les vêtements étaient plus faciles à manipuler pour les scènes de combat.
Avez-vous procédé de la même manière pour Luke Cage en choisissant les vêtements plutôt que la marque ?
Pour Luke c’est différent. Nous avons utilisé Carhartt qui est une vieille marque américaine évocatrice des travailleurs. C’était un point très important pour Cheo Hodari Cocker (le showrunner de Luke Cage), que Luke porte un sweat à capuche Carhartt. Luke est un gars de Harlem, il n’a pas beaucoup d’argent, il fait partie de la classe ouvrière, c’est un travailleur, la marque faisait sens. Par ailleurs, nous avons essayé d’autres marques et aucune d’entre elles ne convenait à Mike Colter en terme de taille ou de texture. Carhartt était parfaite pour lui. Aujourd’hui nous avons un partenariat avec eux, ils nous procurent tous les sweats dont nous avons besoin, et croyez-moi ça représente un certain volume (rires)!
Nous savons que vous ne pouvez pas vraiment parler de ce sur quoi vous travaillez actuellement, mais Entertainment Weekly a récemment dévoilé la première image de Luke Cage Saison 2. Et nous nous demandions si vous aviez du faire des ajustement pour la garde robe de Misty Knight vu qu’elle possède désormais un bras bionique ?
Yep. Tout ce que je peux vous dire c’est : yep. Nous avons du faire des ajustements. Mais pour en savoir plus il vous faudra attendre la sortie de la saison 2 de Luke Cage.
Entertainment Weekly/David Lee/Netflix
Si vous souhaitez en savoir plus sur Stephanie Maslansky vous pouvez consulter son site internet ainsi que ses comptes Instagram et Twitter. Son travail est quant à lui visible via les séries Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage, Iron Fist ou The Defenders disponibles sur Netflix.
Propos recueillis le 14 septembre 2017.